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La Terre, un lieu d’émerveillement
Un filet dans une main, un seau dans l’autre, mon frère et moi débordions d’impatience en parcourant les rues pavées de notre pittoresque village balnéaire du nord-est de l’Angleterre, pour nous rendre à la plage. Nous partions à l’aventure, à la découverte des mares résiduelles dont les eaux claires scintillaient au soleil et abritaient tant de coquillages et d’algues de couleurs. Nous retournions doucement les cailloux dans l’espoir d’y trouver l’armure orange d’un crabe, que nous manipulions alors doucement pour l’examiner de plus près, avec cet émerveillement propre à l’enfance qui peut parfois entraîner une vie entière vouée à la passion pour la nature.
J’ai beaucoup de chance d’avoir grandi dans un endroit où nos jeux étaient faits de courses à travers les torrents, de parties de cache-cache dans les prairies, de cabanes construites dans la forêt… Nous étions également passionnés par la pêche à la ligne. La magie venait autant de la beauté du lever du soleil au bord de l’eau que de nos contacts avec une carpe rusée et souvent insaisissable. J’ai reçu mon premier appareil photo lorsque j’étais enfant. J’ai donc passé de longues heures près du lac, à photographier le lever du soleil, l’ombre des feuilles au printemps, ou ce rouge-gorge que je ne tardais pas à apprivoiser en lui apportant par une froide matinée d’hiver un savoureux petit-déjeuner à base d’asticots.
Avec les années, mes centres d’intérêt ont évolué, mais la vie au grand air a gardé une place centrale dans mon existence. Parcours en kayak en compagnie des marsouins, montées d’adrénaline lors de descentes en VTT à travers les arbres, températures extrêmes dans le blizzard des North York Moors… Mon cœur reste attiré par les mille surprises que la Terre sait nous offrir chaque jour. Mais ce n’est que lorsque je suis devenu photographe, en 2015, que j’ai réellement saisi à quel point mon passé m’avait façonné. Chaque interaction, chaque journée de mon enfance passée dans la boue, chaque égratignure sur mes genoux, ma première rencontre avec un cerf, ce premier grand chêne que j’ai escaladé (et dont je suis tombé…), le calme hypnotisant d’un lever de soleil dans la brume, cette carpe, que j’ai fini par attraper après des années de tentatives… Toutes ces expériences ont contribué à façonner ma vision du monde, m’ont appris l’empathie et m’ont aidé à devenir le photographe que je suis aujourd’hui.
Celles et ceux qui me suivent sur YouTube ou qui ont acheté mon livre, Gathering Time, connaissent les circonstances dans lesquelles nous avons accueilli notre labradoodle, Meg, pour m’aider à faire face à des douleurs chroniques. Ensemble, Meg et moi nous sommes lancés dans un véritable voyage, dans les bois pourtant tout proches de chez moi. J’y ai trouvé une véritable thérapie, qui a su m’apporter réconfort et épanouissement créatif. J’ai déjà raconté cette histoire à bien des reprises. Je vais donc me contenter de parler de ce que je ne réalise qu’aujourd’hui : le rôle que cet événement a joué dans l’évolution de mon rapport avec la campagne près de chez moi, et avec la planète tout entière.
J’étais alors dans l’attente désespérée d’un retour à la normale, passant de la confusion à la colère, au repli et à la déconnexion sociale. Je recherchais la solitude dans les bois, au calme, là où je pouvais réfléchir et prendre du recul sur les défis que je rencontrais. Accompagné de Meg et de mon appareil photo, j’ai appris à développer un lien profond avec les forêts, dont j’ai accepté la complexité en les explorant à mon échelle. Mes pensées négatives semblaient étouffées et ma tristesse presque oubliée lors de ces errances à travers les bois, faites de fascination et de respect. De temps à autre, je croisais des biches ou des renards. J’avais trouvé l’endroit qui me rendait heureux ; un sanctuaire qui donnait un nouveau sens à ma vie.
Plutôt qu’un effort d’introspection, on pourrait croire que la photographie demande surtout de porter une attention particulière sur l’extérieur. Mais grâce à mon expérience, je sais qu’un examen des profondeurs de son propre esprit peut guider une vision et permettre de créer des images qui expriment quelque chose de réellement personnel. Mon amour des arbres et des forêts était tel que je voulais que mes photographies aillent au-delà de l’équilibre esthétique, qu’elles communiquent ma manière de voir et de vivre le monde naturel. Mes interprétations ont évolué avec le temps. Si, influencé par mon état d’esprit, je me focalisais originellement sur les arbres noueux qui semblaient lutter pour leur survie, j’ai fini par être attiré par des images plus positives, qui exprimaient des idées de croissance, de communauté, de cycle de vie… Mes difficultés personnelles m’ont rendu plus sensible aux émotions, et c’est cette sensibilité qui m’a aidé à saisir l’harmonie qui pouvait exister entre ma créativité et la nature.
Depuis des années, ma passion est donc alimentée par une conscience aiguë des bienfaits de la photographie en forêt. J’y ressens une forme de gratitude, et un véritable désir d’en apprendre davantage sur ces arbres qui m‘ont tant donné. Je ne recherche pas nécessairement une épiphanie, mais tout simplement une information qui saura capturer mon imagination et m’inspirer à aller un peu plus loin. À chaque saison, j‘observe l’évolution la nature, et je suis séduit par ses variations de couleurs, de formes, de caractères et d’ambiance. Si, au début, je me contentais de repérer les arbres les plus intéressants à photographier, ma démarche a vite évolué en un état de curiosité constante. Quel est cet arbre ? Quel âge a-t-il ? Comment change-t-il au fil des saisons ? Quelle est son rôle écologique ? Quels habitats abrite-t-il ? Pourquoi tout cela est-il important ? Cette compréhension me permet non seulement d’enrichir mon expérience des arbres, mais m’ouvre également les yeux sur des détails plus discrets, informant mes choix créatifs par l’émergence de nouvelles strates subtiles de signification et d’épanouissement.
Avant 2012, je me servais essentiellement de la campagne comme d’un terrain de jeu. Mais en apprenant à mieux respecter la nature grâce à la photographie, j’ai changé. J’ai modifié mon alimentation, j’ai aidé à planter plus de 2 000 arbres, et j’ai réalisé des vidéos qui, je l’espère, aident les spectateurs à prendre conscience de leur impact sur l’environnement et à utiliser la photographie pour faire le bien. Aujourd’hui plus que jamais, il est important d’adapter nos choix quotidiens et nos activités de plein air aux besoins de notre planète. Capturer la majesté de la Terre n’implique pas nécessairement une expédition épique vers les plus hautes montagnes, les chutes d’eau les plus impressionnantes ou les forêts les plus reculées. On peut trouver son émerveillement dans les lieux les plus improbables. Pour moi, la magie survient lorsque je trouve un lieu presque inexploré en forêt, qui me renvoie à l’imagination de mon enfance, quand tout a commencé.
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